et nous pensons, bien sûr, à ce qui concerne les spécificités de l’activité critique auxquelles il réfléchit, on le sait, depuis le début des années soixante
[1] – avec de nouvelles appétences, c’est-à-dire la question de la lecture, et, plus précisément, du plaisir de la lecture. Point de convergence entre deux axes importants de la réflexion barthésienne, ce questionnement n’est pourtant qu’esquissé dans Le Plaisir du texte, il s’agira donc ici de tenter de déplier toutes les implications contenues dans ce petit fragment qui, semble-t-il, peut nous apprendre beaucoup sur notre propre rapport de lecture au texte de Barthes. Cette digression autour, et à partir, d’un fragment barthésien se veut ainsi, en quelque sorte, un exercice de pensée qui, espérons-le, pourra donner une illustration supplémentaire à la manière dont on peut penser, aujourd’hui, à la suite de Barthes et avec lui.
Comment donc prendre plaisir à un texte critique ? Quel plaisir peut connaître le lecteur, non du discours, mais du « discours sur » ? Un « seul moyen » répond Barthes : « […] puisque je suis ici un lecteur au second degré, il me faut déplacer ma position : ce plaisir critique, au lieu d’accepter d’en être le confident – moyen sûr pour le manquer –, je puis m’en faire le voyeur : j’observe clandestinement le plaisir de l’autre […][2] ». Le lecteur d’un texte critique doit ainsi accepter de désaxer son regard, de déboiter sa vision, pour jouir en oblique du plaisir de l’autre. Ce lecteur-voyeur épie un plaisir-autre : il assiste « clandestinement » à une rencontre entre un auteur et un autre lecteur que lui. Se constituant en regardeur du spectacle d’un « c’est cela pour moi[3] ! », si l’on reprend la formule de Barthes, il jouit en fait, si l’on décline celle-ci, d’un « c’est cela pour lui ! ». Ce phénomène propre au lecteur-voyeur semble alors entrer dans un rapport de contradiction fondamental avec les mécanismes du plaisir décrits par Barthes à propos des textes de fiction. Le lecteur de textes fictionnels, lui, ressent en effet du plaisir à éprouver sa propre présence dans l’écriture de l’autre. Ce lecteur se désigne et se reconnaît ainsi comme étant le destinataire du texte, qui le cherche en tant que corps : « Le texte est un objet fétiche et ce fétiche me désire. Le texte me choisit, par toute une disposition d’écrans invisibles, de chicanes sélectives : le vocabulaire, les références, la lisibilité, etc. […][4] ». La présence du lecteur est ainsi inscrite dans la texture du texte, qui offre à celui-ci tous les
[1] Nous renvoyons ici à Critique et vérité, publié en 1966, mais aussi à des articles plus anciens – « Qu’est-ce que la critique ? » et « Les deux critiques » – rassemblés dans les Essais Critiques, dont la préface, rédigée en 1964, constitue elle aussi une réflexion méta-critique de première importance.
[2] Barthes, Roland, Le Plaisir du texte, op.cit., p. 228.
[3] Cette expression étant, en quelque sorte, l’exclamation propre au plaisir : « Si j’accepte de juger un texte selon le plaisir, je ne puis me laisser à dire : celui-ci est bon, celui-là est mauvais. […]. Je ne puis doser, imaginer que le texte soit perfectible, prêt à entrer dans un jeu de prédicat normatif : c’est trop ceci, ce n’est pas assez cela ; le texte (il en est de même pour la voix qui chante) ne peut m’arracher que ce jugement, nullement adjectif : C’est ça ! Et plus encore : c’est cela pour moi ! » (Ibid., pp. 225-226).
[4] Ibid., p. 234.