rideau qui s’ouvrent et se referment et donc, si l’on poursuit à nouveau la réflexion, du spasme de la fiction – Barthes parle d’ailleurs « d’enveloppe fissurée ». Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le plaisir du lecteur-voyeur ne naît pas du dévoilement progressif d’une fiction secrète, mais plutôt, semble-t-il, de l’hiatus par lequel celui-ci l’aperçoit et par lequel, tout à la fois, elle ne cesse de s’échapper, de se soustraire, par le moindre écart, à son regard et à son emprise. Si le lecteur-voyeur est tout entier porté par l’espoir de voir, il se régale alors tout autant de ce qu’il ne voit pas et de ce qui devient alors, plus que jamais, le support de ses fantasmes : si l’on reprend la métaphore de Barthes, le plaisir de lecture ressenti face à un texte critique relève donc moins, en fin de compte, du strip-tease – qui dévoilerait, petit à petit, c’est-à-dire narrativement, la scène originaire d’une rencontre amoureuse entre un écrivain et un critique – que du « vêtement qui bâille », offrant au voyeur un interstice par lequel il surprend un éclat d’écrivain, camouflé sous son enveloppe critique, une ombre d’écriture venant se découper sur un rideau d’écrivance[1].
C’est ainsi que le texte critique rejoint ce que l’on peut nommer une érotique du ciselé, de l’éclaté, défendue tout au long du Plaisir du texte : « C’est l’intermittence […] qui est érotique : celle de la peau qui scintille entre deux pièces (le pantalon et le tricot), entre deux bords (la chemise entrouverte, le gant et la manche) ; c’est ce scintillement même qui séduit, ou encore : la mise en scène d’une apparition-disparition[2] ». Cette modalité spasmodique de l’éros est alors, selon Barthes, propre aux textes-limites, dont la jouissance surgit, non pas de « la suite des énoncés », de « l’effeuillement des vérités », mais, au contraire, de « la faille de deux bords[3] ». Entre le pantalon et le tricot, entre le gant et la manche, ce qui se joue et se rejoue alors, c’est en effet la jouissance de l’apparition soudaine d’une entaille, d’une incision, bref d’un espace – et l’on en revient toujours à l’enveloppe fissurée. Ce même érotisme de la déchirure rapprochant le plaisir critique du plaisir jouissif nous amène à énoncer un paradoxe, qui n’est, au fond, qu’apparent : le plaisir critique semble être toujours jouissance alors qu’il n’y aurait critique que de textes de plaisir. Barthes l’affirme, en effet, « la critique porte toujours sur des textes de plaisir, jamais sur des textes de jouissances », qui eux, ne peuvent être atteints que par un autre texte de jouissance : « Vous ne pouvez parler “sur” un tel texte, vous pouvez seulement parler “en” lui, à sa manière, entrer dans un plagiat éperdu, affirmer hystériquement
[1] La reprise de cette distinction entre strip-tease et bâillement du vêtement est détachée du sens restreint que Barthes lui attribue dans Le Plaisir du texte, qui lui permet de distinguer entre deux régimes de lecture. Nous n’en retenons ici que l’opposition de principe entre continu et brèche, suite et béance, etc.
[2] Ibid., p. 223.
[3] Ibid., p. 225.