que par un plagiat éperdu – perdu d’avance peut-être, en tous les cas une infinie contrefaçon. De l’œuvre de Barthes, nous sommes toujours tentés d’en être uniquement des lecteurs purs : « Lire, c’est désir l’œuvre, c’est vouloir être l’œuvre, c’est refuser de doubler l’œuvre en dehors de toute parole que la parole même de l’œuvre : le seul commentaire que pourrait produire un pur lecteur, et qui le resterait, c’est le pastiche […][1] », écrit Barthes dans Critique et vérité[2].
En guise de conclusion, nous voudrions apporter quelques prolongements à cette réflexion digressive sur le plaisir critique en emboitant le pas d’un des plus célèbres lecteurs de Barthes : Alain Robbe-Grillet, dont Barthes a soutenu les premiers romans – Les Gommes, Le Voyeur, La Jalousie, respectivement dans « Littérature objective », « Littérature littérale », et « Il n’y a pas d’école Robbe-Grillet », une série de textes rassemblés dans les Essais critiques en 1964. Ces textes ont beaucoup influencé les théories littéraires de Robbe-Grillet[3], mais il importe plutôt ici d’aborder « l’espace de séduction » qu’ils ont instauré entre un critique et un écrivain à la fois objet et lecteur de ces critiques. On l’a dit, le plaisir critique nait de l’exhibition d’un « c’est cela pour moi ! » d’un autre lecteur que soi-même, mais le lecteur-voyeur d’un texte portant sur sa propre œuvre est plutôt, lui, face au spectacle d’un « moi, c’est cela pour lui » : autrement dit, je vois l’autre me désigner tel que je suis pour lui, ou plutôt tel qu’il se reconnaît en moi. Or, dans Le plaisir du texte, les textes de Robbe-Grillet, sont évoqués et rangés, aux mêmes titres que ceux de Sollers, à la suite des textes de jouissance. Si Flaubert, Proust, Stendhal « sont commentés inépuisablement »[4], parce que le plaisir est dicible, les textes de Robbe-Grillet, indicibles, ne peuvent être expliqués, glosés, interprétés, mais seulement doublés, calqués, répliqués par un autre texte de jouissance. On peut dès lors se poser la question : comment Robbe-Grillet lit-il cette critique jouissive qui réverbère à l’infini son œuvre ? Dans le « Pourquoi j’aime Barthes », célèbre texte prononcé initialement par Robbe-Grillet lors du colloque de Cerisy consacré à Barthes en 1977, le romancier parle longuement du rapport qu’il entretient avec ce qu’il nomme la « personnagité » qui émane de Barthes dans ces textes. Par ce terme de « personnagité », Robbe-Grillet entend, si l’on veut bien traduire, ce que Barthes nommerait la « figure » de l’écrivain, c’est-à-dire un effet de texte, un être de papier, un sujet dispersé, mais à un sujet à aimer, car « dans le texte, d’une certaine façon, je
[1] Barthes, Roland, Critique et vérité, op.cit., p. 801.
[2] On peut se souvenir ici d’un petit livre qui avait beaucoup affligé Barthes : le Roland-Barthes sans peine de Michel-Antoine Burnier et Patrick Rambaud, paru en 1978, manuel parodique du langage « R.B ». Ce pastiche, sans doute surtout le fruit d’un certain agencement face à l’influence toujours plus grande de Barthes, est peut-être aussi l’expression même de ce phénomène voulant que le texte de Barthes soit, pour le dire ainsi, insaisissable à la critique.
[3] Pour un aperçu général de la relation critique qui a uni Barthes et Robbe-Grillet, nous renvoyons à Lorent, Fanny, Barthes et Robbe-Grillet. Un dialogue critique. Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2015.
[4] Barthes, Roland, Le Plaisir du texte, op.cit., p. 231.