désire l’auteur : j’ai besoin de sa figure (qui n’est ni sa représentation, ni sa projection), comme il a besoin de la mienne[1] ». Le romancier qualifie alors les liens qui l’unissent aux textes barthésiens de « rapport louches, suspects » : « […] cette très forte intervention du personnage dans le texte, la sensation que j’ai affaire à un corps, à des pulsions, à des choses pas propres, probablement, fait que le texte tend à devenir un simple porte-parole de ce corps […][2] ». Cette présence d’un corps pulsionnel, ressentie à la lecture des textes de Barthes, ferait ainsi du critique un véritable écrivain : « Son texte et lui forment une sorte de couple de torsion, ce qui semble pour moi, au niveau de ma lecture, caractéristique des rapports que j’entretiens avec non pas un penseur, mais un romancier[3] », nous dit Robbe-Grillet. Et, plus loin, il déclare enfin : « Les rapports que j’entretiens avec cette œuvre-personnage, ce texte-personne, ce texte-corps, et qui sont des rapports de romanciers à romanciers, définissent un certain type de rapport amoureux, de contact affectif[4] ». De là, les questions ne manquent pas. Comment donc Robbe-Grillet peut-il jouir de ce rapport amoureux avec un texte-corps jaillit d’un désir pour son propre texte-corps ? Comment peut-il se faire le voyeur, si l’on revient au fragment initial de Barthes, du plaisir qu’un autre éprouve au contact de ses propres textes ? En bref, comment Robbe-Grillet peut-il s’exclure d’un procès de plaisir auquel il participe ? Comment peut-il se dédoubler pour contempler le théâtre d’un rapport amoureux dont il est un des acteurs ? Il apparaît alors plutôt que le cas Robbe-Grillet inverse – inverser n’étant pas faire mentir – de façon exemplaire la singulière mécanique du lecteur-voyeur esquissée par Barthes. Robbe-Grillet lecteur de Barthes ne profite pas d’un mouvement projectif, mais au contraire, d’un mouvement extrusif, d’une sortie absolue de lui-même. La jouissance de Robbe-Grillet n’est pas celle du voyeur qui guette un plaisir-autre derrière les pans de ses rideaux, mais celui regardeur qui observe le spectacle de son propre procès de plaisir dans un miroir, comme s’il s’agissait de celui d’un autre. Robbe-Grillet ne jouit pas alors, comme les autres lecteurs critiques, de l’éclat, de la déchirure, du judas par lequel il surprend l’écrivain, mais il jouit du plein spectacle de la déformation de son propre reflet, défiguré – dans un sens que l’on pourrait aisément imaginer barthésien – par le regard de l’écrivain : le romancier ne prend pas plaisir à l’inscription de sa propre identité dans le texte barthésien, mais au contraire, il savoure le spectacle de son image déformée par la présence de l’autre. Il jouit, en fait, du bonheur inépuisable de ne pas être soi, c’est-à-dire de la fictionnalisation de sa figure par l’autre, de la
[1] Ibid., p. 235.
[2] Robbe-Grillet, Alain, Pourquoi j’aime Barthes, op.cit., p. 16.
[3] Ibid.
[4] Ibid., p. 17.