Recueil des résumés

Gabriela Trujillo
(Cinémathèque française)
« Une vigilance du désir » : Barthes et le cinéma

« Une vigilance du désir » : Barthes et le cinéma A la fois expérience projective, art à part entière et moyen de divertissement, le cinéma occupe chez Roland Barthes une place problématique. Ne disait-il pas à Pascal Bonitzer « Laissez-moi libre de la nuance : je « résiste » au cinéma » ? Pour autant, Barthes va au cinéma et, de surcroît, invente des outils et des catégories d’analyse iconographique propres au cinéma ; il commente certaines œuvres (la plus connue étant son exégèse d’Ivan le terrible), en même temps qu’il dialogue avec les critiques et les réalisateurs qui lui sont contemporains. Rivette, Buñuel, Antonioni, Pasolini … quel était le rapport de Barthes au cinéma de son époque ? Quelle était sa pratique cinéphile ? La cinéaste Raymonde Carasco, qui fut l’élève de Barthes, a fourni une lecture précieuse sur les rapports de ce dernier au Septième art. A partir de fragments inédits de leurs échanges, nous élargirons la lecture de « l’image-cinéma qu’aimait Roland Barthes », dont nous rappellerons les enjeux.

 

 

Jean-Baptiste Chantoiseau
(Université de la Sorbonne-Nouvelle (Paris 3))

jbchantoiseau@yahoo.fr
06 73 90 24 80

Penser autrement la transgression :
Roland Barthes

Roland Barthes a su tisser, au fil du temps, une pensée critique et théorique pluridisciplinaire, ce qui lui a aussi permis de démultiplier allègrement ses objets d’études, non sans une jouissance revendiquée. Dans la tragédie racinienne « le contraire de souffrir est respirer »[1]; aussi s’efforce-t-il de laisser passer un souffle neuf dans sa méthodologie, détachée des codes rigides et sensible au frissonnement des signes. Il s’efforce toujours de rendre justice à cette ivresse de la parole qui, à ses yeux, « se tient dans cette usure des mots, dans cette écume toujours emportée plus loin, et il n’y a de parole que là où le langage fonctionne avec évidence comme une voration qui n’enlèverait que la pointe mobile des mots »[2]. Une telle approche nécessite d’être en symbiose permanente avec le présent de la sensation ; d’où une vigilance et une disponibilité au monde qui font aussi de sa pensée une curieuse ascèse ouverte sur les affects du quotidien. C’est pourquoi, à partir de ses écrits, il est possible de repenser ce qui demeure une grande aventure de la littérature du XXe siècle : la quête effrénée de la transgression, qui s’intensifie en passant du registre du dandysme à celui du terrorisme. Dans Le degré zéro de l’écriture, Barthes désigne la transgression comme « une surnature du langage : elle est l’aire d’une action, la définition et l’attente d’un possible »[3]. En ne se limitant pas au point de vue classique de l’opposition à la norme, Barthes offre la possibilité de tenir un autre discours sur la transgression en la plaçant dans le registre de l’expérimentation, de l’invention de signes nouveaux et dans la revendication d’une poétique et d’une éthique de l’accident. Fort des acquis de Roland Barthes – découpage en lexies ; attention portée aux incidents et aux glissements ; identification de phénomènes de pluralisation – il s’agira d’analyser comment une œuvre littéraire transgressive offre moins un pur et simple affrontement qu’elle n’invente une érotique irréductible à un code. Seront ainsi relues d’une autre manière, à partir du corps et des affects, d’une jouissance dans la transgression, quelques extraits de Proust, Gide et Sollers ; auteurs dont les univers littéraires montrent un rapport au désir qui entretient de troublantes résonances avec l’œuvre de Barthes.

Jean-Baptiste Chantoiseau est docteur ès lettres et sciences humaines de l’université de la Sorbonne-Nouvelle (Paris 3), où il enseigne l’esthétique et la théorie de l’image. Il a dirigé en 2014 un ouvrage collectif, L’En-deçà des images (Champ Vallon) – rassemblant notamment des essais d’Yves Bonnefoy, Murielle Gagnebin, Jean-Luc Nancy, Michel Schneider, Jean Starobinski – et publié un essai sur l’érotisme dans les poèmes et premiers récits de Pasolini (éditions Peter Lang, sous la direction d’Uta Felten). Ses travaux sur le Temps retrouvé de Marcel Proust ont été sélectionnés par le comité du Bulletin Marcel Proust (décembre 2013, n°63). S’intéressant de près aux figures et figurations de la transgression dans les arts littéraires et plastiques, il est l’auteur, dans des revues françaises ou internationales (Nouvelle revue d’esthétique des PUF, Contemporary Francophone Visual Cultures, Figures de l’art…), d’une vingtaine d’articles sur des œuvres aussi bien littéraires – Barbey d’Aurevilly, Georges Bataille, Jean Cocteau – que cinématographiques. Éditeur de livres d’art, il a assuré la coordination d’une cinquantaine de catalogues d’exposition et de livres (Vienne 1900, Klimt, Schiele, Moser, Kokoschka ; Le Paris des Lumières…), essentiellement pour le musée Rodin (300 dessins ; Rodin, la chair, le marbre…). Il anime un séminaire annuel à Paris XIII sur le « beau livre ». Son premier roman, La chambre blanche. Robert Mapplethorpe, a été publié en 2014 aux éditions HD tandis que son essai sur l’argent dans la littérature française dite « hyper contemporaine » paraîtra en 2015 (Londres, Taylor & Francis).

[1] Roland Barthes, Sur Racine, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 1963, p. 51.

[2] Roland Barthes, Le degré zéro de l’écriture (1953) suivi de Nouveaux essais critiques (1972), Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 1972, p. 21.

[3] Ibid., p. 15.

 

 

Laura Marin
(Université de Bucarest)

De la « vitalité désespérée » du Neutre

Un fort « désir de Neutre » anime le cours que Roland Barthes donne au Collège de France en 1977-1978, et la vitalité comme qualité et question du Neutre le préoccupe à plusieurs reprises (dans l’argument du cours, dans les images du Neutre, dans quelques suppléments des séances). Mais il y a aussi dans ce cours toute une série de figures touchant aux affects et au corps affecté (« la fatigue », « la souffrance », « l’angoisse », « l’effroi », « la colère ») à travers lesquelles une certaine « pathologie » du Neutre semble s’énoncer sans pourtant se mettre en place.

A un autre endroit du cours, en se demandant quel est le discours qui s’occupe du pathos, Barthes répond par « pathologie », mot dont le sens usuel – très figé et trop normatif – le gêne, et le pousse à opérer dans l’écriture même du mot une fissure, une cassure, en proposant « patho-logie », afin de récupérer par ce geste de séparation graphique et de création sémantique à la fois le sens ancien du pathos grec. Barthes ouvre ainsi la langue à l’activité de la vie sensible, et l’esthétique au biologique.

Je me propose d’interroger le neutre barthesien dans son rapport au pathologique, notion que j’entends à la suite de Georges Canguilhem comme modification qualitative de la vie (cf. Le Normal et le Pathologique, 1966) pour analyser, dans sa fidélité et ses glissement de sens, une formule que Barthes emprunte à un poème de Pasolini et par laquelle il désigne l’activité (acte et affect) du neutre : « la vitalité désespérée ». Il s’agira, plus largement, d’inscrire cette approche vitaliste du neutre dans toute une tradition de la pensée médicale d’origine galénique, qui distinguait entre la santé et la maladie un troisième état du vivant, nommé précisément neutre (Ambroise Paré, Jean Fernel, Lazare Rivière, par exemple).

Laura Marin enseigne à l’Université de Bucarest (Roumanie) au Centre d’excellence dans l’étude de l’image (CESI). Elle a obtenu son doctorat d’histoire et sémiologie du texte et de l’image en 2011 avec une thèse préparée en cotutelle à l’Université Paris VII-Denis Diderot et à l’Université de Bucarest, publiée aux Presses de l’Université de Bucarest en 2013 sous le titre Le Neutre. Lire Blanchot dans les traces de Levinas et Derrida.

 

Roland Barthes