Maïté Snauwaert
Université de l’Alberta, Canada
Roland Barthes et le pathétique :
une nouvelle théorie des émotions
Représentation codifiée des passions, le pathétique exprime en même temps qu’il le contient « le désordre du corps affecté », écrit Anne Coudreuse dans Le Goût des larmes au XVIIIe siècle. Associé principalement à l’art oratoire et à l’art dramatique, il est le registre qui, dans les arts et la littérature, configure et conditionne les émotions fortes. Cependant, sa double origine rhétorique et poétique le rend susceptible d’utiliser le registre émotif aux fins d’une séduction facile. Il navigue ainsi entre le statut d’une catégorie esthétique forte, lorsque l’oeuvre emporte avec elle son lecteur, et une considération péjorative qui l’assimile à une affectation. La condition d’un pathétique réussi, en quelque sorte, est alors dans la coïncidence entre la vérité de l’expérience humaine et sa représentation; dans la justesse donnée à la relation des émotions.
Dans sa conférence sur Proust au Collège de France, Roland Barthes appelle de ses vœux une « Histoire pathétique de la Littérature » qui, en endossant la subjectivité du critique et en retraçant le mouvement de sa sensibilité à travers sa lecture des oeuvres, montrerait le pouvoir affectif du littéraire. Par cette proposition, Barthes redonne toute sa puissance à ce qu’il considère comme “l’affect ultime : la pitié ou la compassion“. Au même moment, dans les notes privées de ce qui est devenu le Journal de deuil, il consigne ce qu’il ressent sans pouvoir le dire à personne; et une remarque en particulier sépare les affects attendus socialement de l’émotion intérieure : « Je ne suis pas en deuil, j’ai du chagrin. »
Comment une théorie des émotions, dans la lignée de la Poétique d’Aristote, se fait-elle ainsi jour dans les derniers écrits de Roland Barthes? Comment fait-elle le pont entre les affects privés et l’exercice public de la littérature, l’écriture lapidaire du journal personnel et l’entreprise collégiale du séminaire? Enfin, parvient-elle à évoquer le sentiment vécu du tragique à travers ces formes non canoniques du pathétique?
Maïté Snauwaert est professeure adjointe à l’Université de l’Alberta au Canada. Elle est l’auteure de la première monographie consacrée à l’œuvre de Philippe Forest, Philippe Forest, la littérature à contretemps (Éditions Cécile Defaut, 2012). Elle a dirigé plusieurs dossiers de revues canadiennes, dont un numéro sur l’éthique et la littérature pour Études françaises, et le dossier Barthes écrivain pour Spirale. Elle est membre de l’Observatoire des écritures françaises et francophones contemporaines. Sa fiche peut être consultée dans l’annuaire des barthésiens sur : http://roland-barthes.org/fiche_snauwaert.html
Maja Vukušić Zorica
(Université de Zagreb)
« So much for pathos » –
« cueillir des roses au milieu des épines »
(Barthes – Sade)
Dr Maria O’Sullivan
(Department of French, University College Cork, Irlande)
maria.osullivan@ucc.ie
00 353 21 4902653
Roland Barthes,
Eisenstein et la reproductibilité technique
Cette communication, en examinant les textes qu’a écrits Roland Barthes au sujet du théâtre et du cinéma, aura pour objet la remise en cause des questions de l’intention créative et de la réponse subjective qu’on a déjà vues dans le plus connu de ses textes, « La mort de l’auteur » (1967). Dans ces textes (« Le troisième sens » (1970) et « Commentaire. Préface à Brecht, ‘Mère Courage et ses enfants’ (avec des photographies de Pic) » (1960)), Barthes attribue la réponse affective que provoquent la photographie d’une production théâtrale et le photogramme extrait d’un film à une essence dans la production ou dans le film voulue par les directeurs (Brecht et Eisenstein). Cette valorisation de l’intention d’auteur semble être en plein désaccord avec sa prise de position dans La Chambre claire (1980), où Barthes met à jour la notion du « punctum » qui se dérobe à l’intention créative du photographe et qui se repère plutôt dans le détail imprévisible et aléatoire de la photographie. Suivant les indications du texte de Barthes sur le directeur russe, je ferai une comparaison entre la théorie du montage des attractions de Sergei Eisenstein, et ce qu’il appelle « la troisième chose », et la discussion de Barthes sur la photographie et sur le photogramme. On verra que, même si Eisenstein et Barthes valorisent tous les deux ce qui est fragmentaire, les textes d’Eisenstein veulent insérer le fragment dans une série d’images juxtaposées, et réfutent donc les propos de Barthes à l’égard du directeur russe. Dans ces textes de 1960 et 1970, Barthes persiste à renier l’acte créatif de sélection et d’encadrement qui est en jeu dans le processus technologique qui nous offre la photographie d’une représentation théâtrale ou la reproduction d’une photogramme. Il semble préférer doter ces objets de reproduction technologique d’une essence immanente. Cette communication va situer cette omission, de la part de Barthes, de l’acte de séléction et d’encadrement dans le contexte du discours critique sur la reproduction technologique dans le cinéma et dans la photographie. Dans cet objectif, on fera appel aux écrits de Walter Benjamin, de Raymond Bellour et de Jacques Rancière.
J’ai obtenu ma licence en lettres à l’Université de Cork, en Irlande, avant d’obtenir mon doctorat sur l’œuvre critique de Roland Barthes à l’Université d’Oxford en 2010. J’enseigne la littérature et la culture française à l’Université de Cork depuis 2012. J’ai publié plusieurs textes sur l’écriture de Roland Barthes, y compris:
O’Sullivan, Maria. ‘Decelerated, Interrupted and Suspended Temporalities in the work of Roland Barthes’ dans Irish Journal of French Studies, no. 14, ‘Deceleration’, Décembre 2014.
O’Sullivan, Maria. ‘La genèse du paragrammatisme de Roland Barthes’ dans Genesis, no. 39, ‘Avant-dire. La genèse écrite des genres oraux’, Octobre 2014.
O’Sullivan, Maria, ‘Barthes, Art et Émotion’ dans ‘Émotions’, séries Modernités, Presses universitaires de Bordeaux, Décembre 2012. Publié sur le site internet de Fabula à
http://www.fabula.org/colloques/sommaire2315.php.