CONTRIBUTIONS DES DOCTORANTS

 

inspirée par des théories en sciences humaines du XXe siècle au sujet de ce royaume qu’est la lecture libre d’objets esthétiques[1].

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En effet – pénétrer l’un des neufs tomes du Dernier royaume, implique une errance ou, selon Dominique Rabaté, un « vagabondage » dans une enveloppe textuelle entrecoupée de blancs qui séparent ou délimitent les fragments[2]. Une telle configuration active une lecture susceptible de transmettre un plaisir cinétique où, selon Roland Barthes, le lecteur a pour liberté de courir entre les fragments, de sauter de l’un à l’autre, d’y plonger comme de s’en extraire[3]. Organisés selon des thématiques spécifiques à chaque chapitre ou la thèse d’un tome, certains fragments sont compilés selon un jeu référentiel à d’autres livres, d’autres œuvres entre lesquels sont sporadiquement intercalés des particules textuelles, courtes ou longues, imagées ou descriptives d’un lecteur ou d’une lecture[4]. Ces particules figurent le profil d’un « sujet amoureux » qui parle « en lui-même, amoureusement, face à l’autre (l’objet aimé), qui ne parle pas. »[5]

Ce dialogue à sens unique manifeste ce que Roland Barthes nomme une « lecture vivante » laquelle produit « un texte intérieur, homogène à une écriture virtuelle du lecteur »[6]. Lire les fragments du Dernier royaume, ce n’est donc pas seulement déchiffrer un texte qui réfère à d’autres mais c’est aussi pénétrer l’œil et l’esprit d’une lecture qu’une écriture reproduit variablement. Les pages s’apparentent à des fenêtres ou des theatrum : « des lieux d’où l’on regarde » la lecture d’un texte qui s’écrit selon la geste d’un corps bicéphale, à la fois lectant et écrivant. En effet les réécritures, les paraphrases ainsi que le style soumis à diverses variations, témoignent de l’accaparation de textes ou d’images antérieurs qui, muant par le corps amoureux, sont transformés ou métamorphosés lors de leur reproduction. Par exemple, dans La barque silencieuse, il est écrit que :

Roland Barthes disait expressément : « la seule chose qu’un pouvoir ne tolère jamais c’est la contestation par le retrait. Cela ne peut se vivre que par des conduites clandestines. Par des


[1] Pascal Quignard, Le lecteur, Paris, Editions Gallimard, 1976. Pour l’influence des théories en sciences humaines sur l’oeuvre de Pascal Quignard, voir par exemple : Dominique Rabaté, Pascal Quignard, Paris, Editions Bordas, 2008, p. 33.

[2] Ibid., p. 17.

[3] Roland Barthes, Le plaisir du texte, Paris, Editions du Seuil, 1973, p. 22.

[4] Dominique Rabaté, Pascal Quignard, Paris, Editions Bordas, 2008, p. 17.

[5] Roland Barthes, “Comment est fait ce livre”, in : Fragment d’un discours amoureux, Paris, Editions du Seuil, 1977, p. 7.

[6] Roland Barthes, “Pour une théorie de la lecture”, 1972, in : Œuvres complètes : Tome IV 1972 – 1976, édit. Eric Marty, Paris, Editions du Seuil, 2002, pp. 172-173.

 

Roland Barthes