CONTRIBUTIONS DES DOCTORANTS

 

tricheries. On peut affronter un pouvoir en l’attaquant. Le retrait est beaucoup moins assimilable par une société. »[1]

Si l’on se réfère à l’édition des oeuvres complètes réunies par Eric Marty ; dans un entretien intitulé « La crise du désir » publié en 1980 dans le Nouvel Observateur, Roland Barthes tient le propos suivant au sujet de sa relation vis-à-vis du pouvoir :

[…] la seule [contestation] qu’aucun pouvoir ne tolère jamais : la contestation par le retrait. On peut affronter un pouvoir par attaque ou par défense ; mais le retrait, c’est ce qu’il y a de moins assimilable par une société.[2]

En dehors d’un propos qui indique une convergence idéologique de Roland Barthes et du narrateur du Dernier royaume, la comparaison entre ces citations renseigne sur l’effet d’une écriture virtuelle où toute lecture s’accapare une langue et un texte qui, lorsqu’ils sont reproduits, deviennent l’objet de transformations singulières. Un tel phénomène laisse entrevoir une potentielle genèse du Dernier royaume dont la création s’établirait selon le déroulement d’un ou plusieurs volumen qu’une lecture transforme en son contenu avant que la main écrivant cristallise cette transformation ou qu’elle en rajoute une deuxième suscitée par l’acte d’écriture. Ceci semble impliquer une rédaction qui renvoie aux qualificatifs associés à l’écriture virtuelle que Roland Barthes dit à plusieurs reprises être « soudaine » ou « explosive ». Dans le Dernier royaume, le champ sémantique associé à la lecture est lui aussi formulé selon une immédiateté émotionnelle. Par exemple, la « sidération » ou la « fascination » sont fréquemment évoqués au sujet de l’émotion suscitée par un texte. Ainsi, dans Vie secrète, il est dit :

J’écris le plaisir dangereux des retrouvailles. Il n’y a pas de retour qui ne risque la désintégration de soi ou l’absorption.

Le coup de foudre est de même.

La fascination est de même.

Fulguratio, fascinatio ne font que dire ce réemboîtement en un éclair, plus vite que l’éclair, de la forme la plus récente dans la forme la plus ancienne.[3]

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En dehors d’une spéculation barthésienne sur la genèse du Dernier royaume, il est intéressant d’appliquer plus spécifiquement la théorie de l’écriture virtuelle dans certains chapitres composés comme une ekphrasis in absentia, c’est-à-dire comme une légende, longue ou brève, d’un texte ou d’une image que le lecteur ne détient pas. Cette ekphrasis est comparable à celle de Roland Barthes dans La chambre claire où la seconde moitié de l’ouvrage décrit la photographie du Jardin d’hiver et de sa mère âgée de cinq ans,


[1] Pascal Quignard, La barque silencieuse, Paris, Editions du Seuil, 2009, p. 70-71.

[2] Roland Barthes, « La crise du désir », (entretien), 1980, in : Œuvres complètes : Tome V 1977 – 1980, édit. Eric Marty, Paris, Editions du Seuil, 2002, p. 943-944.

[3] Pascal Quignard, Vie secrète, Paris, Editions Gallimard, 1998, p. 163.

 

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