CONTRIBUTIONS DES DOCTORANTS

 

photographie qui n’est pourtant pas reproduite et qui actionne une noèse figurée par l’écriture[1]. Dans Mourir de penser, le premier chapitre composé d’onze fragments, renvoie à cette technique dont est ici proposée une analyse selon les quatre niveaux de lecture que Roland Barthes distingue dans l’écriture virtuelle. Il y est question d’une légende dorée qui relate la conversion au christianisme du Roi Rachord en 699[2].

Premièrement se trouve le niveau perceptif d’un texte originel, rendu par un résumé de l’ « historiette » et une reproduction de signes latins (« Ubinam plures majorum suorum essent ?»[3]) ; ces références, contenues dans les deux premières parties du chapitre, attestent de son existence et édifient, pour le lecteur, une perception visuelle partielle de La légende dorée. Deuxièmement est pénétrée l’intellection provoquée par la lecture car ce qui est lu, ce ne sont pas uniquement les signes isolés d’une légende mais le débordement critique auquel invite son propos : une glose développée dans les fragments trois et quatre au sujet du refus de conversion au christianisme du Roi Rachord en raison de son allégeance à ses aïeux, décédés. Troisièmement apparaît une dimension connotative, c’est-à-dire l’interprétation de l’anecdote reliée au thème du tome ou du chapitre, dans ce cas-ci la relation entre une pensée formulée en référence à un « tas de morts » dans les fragments cinq, sept et huit. Et quatrièmement vient la volonté de renforcer, voire d’universaliser la connotation par l’usage récurrent à des références intertextuelles dans les fragments neuf, dix, onze au sujet de Malherbe, Spinoza, Stendhal ou du surmoi en psychanalyse.

La manipulation de la Légende dorée, à la fois réécrite, paraphrasée et enrichie d’un imaginaire renseigne sur la cognition qu’engendre une écriture virtuelle où toute lecture est soumise à la digression qu’impulse le ductus ou l’ « écriture en train de se faire » ce qui a pour conséquence d’entraîner la langue dans un débordement rhétorique. Si l’on transpose cet effet dans le cadre d’une réception, il engendre une lecture prise dans un déportement incessant entre un texte visible (Mourir de penser) et invisible (La légende dorée) ce qui amplifie le plaisir vagabond ou herméneutique d’un lecteur désormais libre d’imaginer un texte antérieur absent. Une telle lecture, prise dans le mouvement d’un texte physique et d’un autre métaphysique, est sans cesse relancée par la reproduction de signes latins ou, dans d’autres chapitres du Dernier royaume, de signes grecs ou numéraires ainsi que par des références intertextuelles. Ces signes comme ces références sont susceptibles d’entraîner d’autres types de plaisirs : d’une part portant sur l’érotique du signe inattendu « succulent par


[1] Roland Barthes, « La chambre claire », 1980, in : Œuvres complètes : Tome V 1977 – 1980, édit. Eric Marty, Paris, Editions du Seuil, 2002, pp. 785-895.

[2] Pascal Quignard, Mourir de penser, Paris, Editions Grasset, 2014, pp. 7-15.

[3] Ibid., p. 9. Traduction de Pascal Quignard : « Dans quel lieu se trouvaient ses ainés ? ».

 

Roland Barthes