réalité ou, pour reprendre l’une des expressions fréquemment reproduite, in « angulo » – dans l’ « ombre » ou le coin de cette réalité[1].
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Ce penchant anachorétique où un lecteur accompagné d’un livre s’éprend d’une lecture qui l’éloigne d’un monde pour un autre, est récurrent dans les fragments du Dernier royaume. Ces particules textuelles, si on les assemble comme dans un jeu de puzzle, dressent le portrait d’un lecteur que son activité émiette à la manière de ce « je » que dissèque la recherche anagnosologique de Roland Barthes dans les années 70[2]. Deux types de descriptions esquissent ses traits, une première porte sur le jeu référentiel qui manifeste son ample érudition, une deuxième le place dans des scènes ou souvenirs personnels déterminés par la lecture de textes. Par exemple, dans Sur le jadis vient ce souvenir qui précède une réflexion sur « le pouvoir des romans » dont le but est « de faire jouir dans l’oubli des personnages »[3] :
La fenêtre donnait sur le port du Havre. C’étaient des ruines, des abeilles, des quais, des rats. C’étaient aussi des sirènes. J’avais six ans. Je lisais les contes et les légendes et mes pieds reposaient sur un petit établi de bois jaune devant la fenêtre qui donnait sur la mer ou plutôt sur la bourrasque grise perpétuelle.
C’était ce que dans mon enfance, je m’en souviens encore, on appelait la mer.[4]
Cette anamnèse qui prend place dans un Havre fréquemment évoqué dans l’oeuvre de Pascal Quignard, illustre l’une des tendances théoriques de Roland Barthes attribuable à l’influence des séminaires lacaniens : l’exhibition du lecteur par le souvenir n’a pas pour cause une subjectivité narcissique liée à l’écriture du moi mais, par sa représentation, ce moi emporté par le texte se détache du lecteur qui, à la manière d’un acteur chez Berthold Brecht, se distancie du personnage pour mieux l’exhiber. L’environnement de l’extrait où ce je se distancie, présente entre autres certaines des conditions qui optimisent le plaisir dans un texte. Selon Roland Barthes, lorsque la lecture est pratiquée dans un environnement non répressif (la maison, la chambre d’enfance, la famille, etc.), le moi est susceptible d’en ressentir une plus grande satisfaction, conditionnée à la fois par la proximité d’un environnement sentimental et familial rassurant et par la dissipation d’une peur liée au caractère autoritaire
[1] Par exemples : Pascal Quignard, Les ombres errantes, Paris, Editions Grasset, 2002, p. 61. Pascal Quignard, Vie secrète, Paris, Editions Gallimard, 1998, p. 219.
[2] Roland Barthes, « Sur la lecture », (conférence), 1976, in : Œuvres complètes : Tome IV 1972 – 1976, édit. Eric Marty, Paris, Editions du Seuil, 2002, p. 928.
[3] Pascal Quignard, Sur le jadis, Paris, Editions Grasset, 2002, p. 23.
[4] Ibid., p. 23.