d’une société ; le travail de sémantisation et de figuration des signes s’en trouve plus libre [1], ce qui a pour effet de renforcer la consistance d’un moi qui se fantasme et se disperse.[2]
Quant à l’effet causé par la lecture, il est évoqué visuellement par la division du corps. Prostré dans une posture iconique, ce corps aux pieds posés sur « sur un petit établi de bois jaune » indique d’une manière liminale l’effet d’une appropriation des signes : d’une part, sa présence réelle est liée à sa position dans un environnement physique, de l’autre la statique du soma le soustrait à cet environnement au profit d’une métaphysique liée à l’imagination que déploie la lecture. Ceci est mis en évidence dans la recherche herméneutique que suggère ce fragment où les signes oscillent entre une interprétation littérale (la chambre de l’enfant) et une autre symbolique qui met en abyme les récits que contiennent les « contes » et les « légendes ». Si une telle confusion est déjà logée entre le nom propre et le nom commun « havre » entendu comme un une ville portuaire ou, selon son étymologie tirée du néerlandais « haven », comme un « refuge », l’énumération qui suit (les « ruines », les « abeilles », les « quais », les « rats », « les sirènes ») amplifie ce que Roland Barthes nomme la « logique associative de la lecture ». Celle-ci est finalement accrue par la « fenêtre qui donnait sur la mer ou plutôt sur la bourrasque grise perpétuelle » qui apparaît comme un theatrum ouvert vers un ailleurs que domine une chromatique grise changeante, pareille aux pages blanches peuplées de caractères noirs sur laquelle oscille une lecture située dans la résurgences de réalités émotionnelles et le mouvement de l’imagination qui entraînent un sujet évanescent vers sa diffraction.
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Si la transposition d’outils conceptuels qui précède rend effectif le potentiel analytique des thèses barthésiennes, elle permet aussi de soulever quelques convergences au sujet de la lecture entre les discours de Roland Barthes et ceux du Dernier royaume. Ainsi on apprend que l’acte de lecture est désocialisant et qu’il se situe à l’ombre d’un environnement sociétal dont le pouvoir dissémine une peur que le texte met à distance. Le plaisir qui s’en ressent, provient non seulement d’une séparation entre deux mondes, un réel et un fictionnel, mais d’un retour vers un langage qui succède à la confusion de deux idiomes en confrontation, celui du lecteur et celui du texte. Cette satisfaction a une double origine : elle peut provenir du cinétisme du regard qui saute arbitrairement d’une page à l’autre ou d’une recherche herméneutique qui colle au texte pour en prendre toute la consistance. En vient un plaisir qui
[1] Roland Barthes, « Entre le plaisir du texte et l’utopie de la pensée », (entretien), 1978, in : Œuvres complètes : Tome V 1977 – 1980, édit. Eric Marty, Paris, Editions du Seuil, 2002, p. 535.
[2] Roland Barthes, Le plaisir du texte, Paris, Editions Seuil, 1973, p. 82.