CONTRIBUTIONS DES DOCTORANTS

 

discours de vérité et discours de fiction n’ont plus lieu d’être ; tout est fiction selon cette perspective ; de même, tout système idéologique, et l’Histoire ainsi que l’historiographie le sont bel et bien, se construit à la manière d’un roman car les systèmes idéologiques sont des fictions.

La narration est donc le constituant principal de l’historiographie, mais elle est également l’élément qui prive celle-ci de sa substance en la projetant ainsi dans la sphère littéraire, dans un univers de fiction et romanesque, voire métaphorique. L’Histoire demeure alors plus un spectacle qu’un mouvement ; les historiens s’adonnent à la position de supervisibilité qui leur permet d’ordonner les éléments qu’ils abordent, ils prennent la position de Dieu, d’un créateur suprême, et s’attaquent à la Création afin de se placer ainsi au-dessus et au centre de la substance historique – « l’Historien survole des événements, les déplace, les dote d’une signification, les possède », projette des catégories divines sur lui en devenant co-créateur de tout ce qu’il raconte, ce qui lui rend possible de saisir un dévoilement des structures qui font apparition. Barthes en demeure complètement abasourdi et fait référence à la description du roi français Louis XI, proposée par Michelet : « Lorsqu’il décrit Louis XI, Michelet est lié passivement à tout ce qu’il considère étant un choix nécessaire pouvant se trouver dans son Tableau. » La totalité non seulement du Roi, mais également de sa figure est atteinte à travers sa perception en tant que « objet désiré et jamais comme objet raconté » ; avant de se livrer avec ardeur à la présentation de ce roi de France, un fantôme de ce même roi hante déjà l’esprit et les idées de Michelet, et c’est ce fantôme qui sera présenté et décrit et non pas le roi tel qu’il fut en vérité. De même, la description de la Flandre du XVe siècle démontre l’ubiquité de Michelet ; toutes les circonstances des événements qui y eurent lieu lui sont connues, il projette des visions et des visions vers l’avenir et s’installe dans le rôle d’un narrateur omniprésent et omniscient, un procédé qui est à approcher de ceux de Balzac ou de Zola ; ceci serait bien un truisme, mais il faudrait quand même le souligner. Un autre problème qui donne voie libre aux discussions est que le récit micheletiste prône implicitement une certaine ouverture de l’Histoire ; l’ondulation de ses récits qui consiste en des « remontées et les stations » au sein de son discours « qui s’achemine toujours vers un étalement et demeure ouvert » – jamais un chapitre de Michelet « n’est complètement clos et conclusif. » L’ouverture des chapitres n’apparaît alors que comme un abîme insondable où toute interprétation est destinée à se précipiter ; le nombre d’interprétations demeure infini, tout lecteur est invité à déployer les moyens de son imagination afin d’échafauder des squelettes vagabonds, dépourvus de toute dimension charnelle, réduits à une plasticité mosaïque, qui danseraient leur propre danse macabre aux rythmes de menuets courtois.

Au fur et à mesure que la fin de ce bref discours s’annonce, j’aimerais approcher la conclusion de celui-ci en recourant à une autre pensée barthésienne. Or, la condition physique attribuant à tout personnage historique un sorte de caractère rend possible la liaison entre les personnages eux-mêmes et les lecteurs ; « c’est ainsi que les corps sont ressuscités » ; il faut engager l’historien et son lecteur dans la participation au récit historique dont les protagonistes invitent à des réactions ambiguës et disharmonieuses ; la répulsion intime reste toujours un procédé dont les historiens ont recours dans le but d’éveiller les sentiments des lecteurs qui sont alors invités à juger les personnages historiques plongés ainsi dans l’océan de toute caractérisation personnelle entreprise par le lecteur ; la question qui se pose renvoie à la dichotomie du récit et de l’Histoire – la dissipation des limites entre les deux entraîne la pénétration du procédé littéraire dans l’essence de l’Histoire qui alors devient un tissu enflant et croissant dû à la multiplication dialectique des événements historiques se transformant au fur et à mesure en de récits romanesques similaires au jeu de tarot. La comparaison de la rédaction de

 

Roland Barthes