Alexandre Sannen
“D’une royaume à l’autre” Pdf ( 406 KB )
“D’une royaume à l’autre“
Rien de plus déprimant que d’imaginer le Texte comme un objet intellectuel (de réflexion, d’analyse, de comparaison, de reflet, etc.). Le texte est un objet de plaisir.
Sade, Fourier, Loyola
Roland Barthes
L’œuvre de Roland Barthes est généralement divisée en deux topiques : une première, structuraliste et sémiotique ; une deuxième que l’épigraphe ci-dessus inaugure et qu’Alexandre Gefen nomme « phénoménologie post-structuralisme »[1]. La deuxième topique où l’auteur en phénoménologue s’ausculte dans ses lectures-écritures[2], sort de l’ombre le postulat d’un plaisir qu’il dit « refoulé » et « censuré » au profit d’un « désir » qui témoigne de l’engagement de ses pairs pour des théories psychanalytiques et marxistes[3]. Si cette critique repose davantage sur la tactique d’une oeuvre située « là où on ne l’attend pas » tant, dès ses premiers textes, le plaisir fait l’objet d’une réflexion théorique, la publication de Sade, Fourier, Loyola, du Plaisir du texte et d’autres ouvrages au cours des années 70 manifestent concrètement cet intérêt pour les émotions plaisantes que déploie le texte[4]. Cet article s’applique à transposer certains concepts novateurs de Roland Barthes proposés au cours de cette décennie dans un corpus singulier marqué de son empreinte. Il s’agit de sonder ou déchiffrer selon une perspective barthésienne, à la fois phénoménologique et herméneutique, des traces ou descriptions imagées d’un lecteur, de lectures – et de leurs plaisirs – dans certains fragments de ce projet agénérique qu’est le Dernier royaume de Pascal Quignard[5]. Cette transposition d’outils conceptuels qui interroge la genèse du Royaume avant de s’attarder sur deux de ses images, semble aller de soi tant, depuis son premier texte intitulé Le lecteur, l’oeuvre de Pascal Quignard est imprégnée d’une réflexion poético-philosophique
[1] Alexandre Gefen, « Le jardin d’hiver », in : Barthes, au lieu du roman, dir. Marielle Macé et Alexandre Gefen, Paris, Editions Desjonquères, 2002, p. 167.
[2] Roland Barthes, « Roland Barthes contre les idées reçues », (entretien pour le Figaro), 1974, in : Œuvres complètes : Tome IV 1972 – 1976, édit. Eric Marty, Paris, Editions du Seuil, 2002, p. 565.
[3] Roland Barthes, « La dernière des solitudes », (entretien), 1977, in : Œuvres complètes : Tome V 1977 – 1980, édit. Eric Marty, Paris, Editions du Seuil, 2002, p. 420, pp. 57-67.
[4] Pour le penchant tactique de l’œuvre de Roland Barthes, voir : Marielle Macé et Alexandre Gefen, « Présentation », in : Barthes, au lieu du roman, Paris, Editions Dejonquères, 2002, p. 10. Au sujet de ses premiers textes, voir par exemple : Roland Barthes, « Plaisir au classique », 1944, in : Œuvres complètes : Tome I 1942 – 1961, édit. par Eric Marty, Editions du Seuil, Paris, 2002. Pour le plaisir, voir le texte majeur : Roland Barthes, Le plaisir du texte, Paris, Editions du Seuil, 1973.
[5] Par exemples : Tiphaine Samoyault, Roland Barthes, Paris, Editions du Seuil, 2015, p. 84. Dominique Rabaté, “Roman, discours, note : le singulier pluriel chez Roland Barthes”, in : Barthes, au lieu du roman, Paris, Editions Desjonquères, 2002, pp. 195-217. Au sujet du Dernier royaume, voir : Chantal Lapeyre-Desmaison, Pascal Quignard le solitaire, Paris, Editions les Flohic, 2006, pp. 211-216.